Entretien Exclusif
Moussa WAGUE, de nationalités Malienne et Française, est le fondateur de la maison de disques KEYZIT. Créée il y a de cela plus de 20 ans et aujourd’hui présente dans une trentaine de pays dans le monde, KEYZIT ambitionne de devenir la Maison de disques numéro Un en Afrique. Dans cette interview accordée au Magazine le 30 Novembre 2020, Moussa WAGUE était revenu sur la genèse de KEYZIT. Il avait également exposé les acquis et les objectifs de la maison de disques, son point de vue pour une meilleure promotion de l’industrie musicale africaine en plus d’adresser des conseils avisés aux jeunes artistes.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Bonjour, Je suis Moussa Wagué, 42 ans, né à Bamako au Mali. De nationalités Malienne et Française. Entrepreneur, surtout connu comme étant le fondateur de la maison de disques KEYZIT.
« J’ai souhaité créer cette société car je rencontrais de nombreuses difficultés lorsque j’étais moi-même artiste. »
Créé en 2000, KEYZIT fête ses 20 ans. Félicitations !
Merci. J’espère qu’il y aura encore beaucoup d’anniversaires à fêter !
D’où vous est venue l’idée de créer KEYZIT ?
J’ai souhaité créer cette société car je rencontrais de nombreuses difficultés lorsque j’étais moi-même artiste. Je faisais partie d’un groupe, nous n’étions pas trop connus à nos débuts et il était difficile voire impossible de trouver un partenaire que ce soit pour distribuer nos albums, pour faire des concerts, toucher les médias ou tout simplement éditer nos œuvres. Nous avons donc dû tout faire en totale indépendance pendant de longues années. Ce n’est que lorsque nos principaux artistes ont eu du succès que les grosses compagnies ont commencé à s’intéresser à eux.
Nous nous sommes rendu compte que de nombreux groupes ou artistes étaient dans la même situation que nous. Nous avons donc créé une structure qui propose tous les services dont un artiste peut avoir besoin aux différentes étapes de sa carrière, de la production à la distribution en passant par l’édition ou l’organisation de concerts. Une structure qui puisse faire le lien entre l’indépendance et la major.
Je ne souhaitais pas que la nouvelle génération rencontre les mêmes problèmes que moi. Je pense que notre structure arrivait à point nommé dans l’industrie musicale.
Était-ce facile de créer KEYZIT ?
La création de la société en elle-même n’était pas difficile. Le plus dur c’est de la créer correctement et de la faire vivre sur le long terme. Je dirais que nous l’avons créé un peu dans la précipitation, ce qui explique pourquoi nous avons connu un premier échec en 2008. Nous avons toujours fonctionné sur fond propres et sans soutien bancaire ou investisseurs. Si nous avons pu tenir c’est par le soutien de la famille et de quelques amis qui ont mis la main à la poche pour nous aider dans les moments difficiles.
« Nous avons pour but de devenir la maison de disques numéro un en Afrique ça peut paraitre fou mais c’est à notre portée. »
Après 20 ans d’existence, quel bilan tirez-vous de cette aventure ?
Le bilan ne peut qu’être positif. J’ai commencé il y a 20 ans dans ma chambre, aujourd’hui nous sommes dans une trentaine de pays dans le monde. Nous avons créé beaucoup d’emplois sur le continent. Quand je regarde le chemin parcouru, malgré quelques échecs, je suis fier. Cependant il reste beaucoup de choses à faire avant que l’objectif final soit atteint. Nous avons pour but de devenir la maison de disques numéro un en Afrique ça peut paraitre fou mais c’est à notre portée. Il est évident qu’on aurait pu mieux faire les choses dans certains cas mais pas de regrets, il faut savoir être reconnaissants et rester optimiste. On essaie de s’améliorer chaque jour.
Aujourd’hui KEYZIT travaille avec des artistes de différents du monde. Les différences culturelles dans la manière de travailler vous ont-t-elles déjà posé problème ou cela vous a-t-il apporté des facilités ?
D’une manière générale la musique est un business qui fonctionne selon des règles définies à un niveau mondial donc la manière de travailler est la même presque partout. Je veux dire par là que peu importe le pays où l’on se trouve, il faut trouver l’artiste, enregistrer les titres, les mixer, masteriser les projets, faire la création graphique, le stylisme, la promotion, les clips, etc….
Les différences culturelles apportent une riche diversité et offrent des possibilités presque illimitées en termes de création musicale. Je dirai que la réelle différence se pose au niveau de l’état de l’industrie musicale de chaque pays. Certains pays sont plus avancés que d’autres notamment en ce qui concerne les sociétés de gestion collectives, les médias…cela permet de travailler plus facilement alors que sur les autres pays il faut souvent mettre en place cette industrie du début à la fin de la chaine avant de pouvoir travailler correctement.
Quelles libertés avez-vous vis à vis des artistes ? Avez-vous un droit de regard sur leur image, leur musique… ?
L’artiste a une liberté totale avec nous. Lorsque nous signons un artiste nous le choisissons car avant toute chose il nous plait sur le plan musical. Nous ne sommes pas là pour lui faire changer de style ou lui imposer une direction artistique. Nous lui apportons avant tout un cadre de travail professionnel qui permet à son talent de mieux s’exprimer. Nous pouvons le conseiller et donner notre avis mais au final c’est lui qui a le dernier mot. Nous intervenons davantage sur un plan stratégique afin d’obtenir les meilleurs résultats. C’est un échange, une collaboration.
« Tous les artistes que j’ai produit m’ont marqué (…) Je peux évidemment citer des artistes comme Sidiki Diabaté au Mali avec sa maitrise de la Kora et l’univers qu’il a su créer, Floby au Burkina Faso qui m’épate à chaque à fois ou encore Monsieur Nov en France qui est pour moi le meilleur dans son domaine. »
Vous avez eu à accompagner et continuer d’accompagner des artistes de renom. Quels sont les artistes qui vous ont le plus marqués ? Et pourquoi ?
Tous les artistes que j’ai produit m’ont marqué. Comme je le disais précédemment lorsque je choisis de travailler avec un artiste c’est avant tout car sa musique me plait. C’est généralement un coup de cœur. Ensuite j’essaie de voir ce que je peux apporter en termes de stratégie. Je peux évidemment citer des artistes comme Sidiki Diabaté au Mali avec sa maitrise de la Kora et l’univers qu’il a su créer, Floby au Burkina Faso qui m’épate à chaque à fois ou encore Monsieur Nov en France qui est pour moi le meilleur dans son domaine.
En Afrique beaucoup de jeunes ont porté leur choix sur la musique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je suis mitigé sur le sujet. Je suis content que les jeunes se lancent à la condition sine qua none qu’ils se lancent correctement. Autrement on assistera à une sorte de colonisation 2.0 sur la musique en Afrique. Pour éviter cela il faut impérativement que le secteur se professionnalise rapidement car les artistes africains rencontrent quasiment les mêmes problèmes que nous, avec mon groupe, il y a 20 ans.
En France, la plupart des labels qui ont refusés de se professionnaliser on presque tous disparus. Eux et leurs artistes ont fini dans des situations parfois dramatiques sur le plan financier, moral ou familial. Cela a parfois provoqué des suicides…C’est pour cela que KEYZIT a, selon moi, un rôle important à jouer. C’est du business mais pas seulement, nous avons aussi une responsabilité importante envers cette nouvelle génération d’artistes.
« Il faut bien s’entourer, ne pas hésiter à faire appel à des professionnels qualifiés (managers, avocats, comptable…) pour éviter certains pièges. »
Quel message/conseil souhaitez-vous adresser à ces jeunes talents ?
Je leur dirai de se structurer, il faut prendre cela très au sérieux car c’est un business même si c’est avant tout une passion. Il faut bien s’entourer, ne pas hésiter à faire appel à des professionnels qualifiés (managers, avocats, comptable…) pour éviter certains pièges.
Au Cameroun par exemple, j’ai récemment identifié et signalé une arnaque d’envergure sur les droits d’auteurs qui touche la quasi-totalité des artistes du pays. Les artistes ont tellement de problèmes au quotidien qu’ils négligent tout cela et certaines personnes mal intentionnées en profitent.
Quelles sont d’ailleurs les critères de sélection de KEYZIT ?
Une originalité artistique dans un premier temps. Un artiste se doit d’être différent à défaut d’être unique. Ensuite il faut être motivé, déterminé et prêt à se retrousser les manches car la route vers le succès demande beaucoup de travail et de sacrifices. On parle de carrière et ça s’étend sur plusieurs années. Je ne peux pas m’entendre avec un artiste qui ne pense qu’à court terme.
Les œuvres d’un artiste continuent d’exister après sa mort. C’est pourquoi il faut porter une attention particulière à l’aspect protection et gestion des droits afin que les héritiers continuent de toucher l’argent qui en découle.
Un autre point important est celui de l’entourage de l’artiste. Si je sens que l’artiste est mal entouré et/ou mal conseillé cela peut fortement me freiner.
KEYZIT est depuis plusieurs années présent en Afrique. Comment trouvez-vous l’environnement musical africain ?
Nous sommes présents en Afrique depuis 2011 mais notre premier bureau a ouvert officiellement seulement en 2014 au Mali. En 6 ans sur le continent je trouve que nous avons bien avancé. Je trouve le marché très dynamique malgré tous les problèmes évoqués. Dans quelques années l’Afrique sera une place très importante sur l’échiquier mondial. Il y a d’excellents artistes dans chaque pays.
« Dans quelques années l’Afrique sera une place très importante sur l’échiquier mondial. Il y a d’excellents artistes dans chaque pays. »
Quelles sont vos préconisations pour une meilleure promotion des artistes africains ?
Il va falloir créer un réseau de communication panafricain, c’est un peu ce que nous sommes en train de mettre en place en ouvrant des bureaux dans plusieurs pays. Pour aller dans ce sens nous sommes en train de créer une agence de communication internationale qui s’appuiera sur nos différents bureaux dans le monde.
Par ailleurs il faudra réfléchir à un statut spécial qui puisse faciliter le travail et aussi la circulation des artistes et professionnels de la musique sur le continent.
C’est encore trop compliqué aujourd’hui pour un artiste Gabonais, par exemple de se produire au Mali ou inversement.
Pour changer de registre au-delà de KEYZIT, quelles sont les causes qui vous tiennent à cœur ?
Je suis sensible à tout ce qui touche les enfants de près ou de loin. En Afrique, il y a encore beaucoup trop d’enfants dans les rues, d’orphelins livrés à eux-mêmes. Nous sommes déjà très actifs sur ce sujet, notamment au Togo, au Bénin et au Mali mais pour aller plus loin, nous prévoyons de créer des orphelinats entièrement financés par KEYZIT. Il ne faut pas forcément attendre après les gouvernements ou les associations déjà existantes. J’estime que si le travail était déjà fait nous ne connaitrions pas cette situation. Je suis moi-même père de famille et à chaque fois que je vois un enfant dans la rue j’ai l’impression de voir un des miens et ça fait mal. On se doit d’agir.
« Je conseille souvent aux gens de trouver ce qu’ils aiment dans la vie et d’en faire leur métier. »
Quels sont vos hobbies ?
Je ne sais pas vraiment quoi répondre à cette question. Mon hobby est devenu mon boulot donc je n’ai pas vraiment l’impression de travailler même si je suis conscient que je travaille énormément. Mon travail me permet de voyager, de lire, faire du sport, rencontrer des gens formidables, apprendre tous les jours. C’est pour cela que je conseille souvent aux gens de trouver ce qu’ils aiment dans la vie et d’en faire leur métier. Il y a des opportunités de business partout, il suffit de bien observer.
Biramawa vous remercie. Votre mot de la fin ?
Merci pour cette interview, longue vie à Biramawa !